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Solomou 33 : Le manoir de Solomon et le drapeau Algerien

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Solomou 33 ou le manoir de Solomon tel était le sobriquet que j'utilisais pour cacher ma persona de romancier. J’étais effrayé le tout premier jour où je suis entré dans cet appartement : fier et meurtri, avec des blessures plus ésotériques que physiques. Je l’ai quitté brièvement après une prière, une récitation coranique, et un œil grand ouvert sur l’année écoulée une année commencée dans la peur et finie par des lances, pour aucune autre raison injuste que la nature sombre et destructrice de l’âme humaine.


Je préfère me faire baiser que vivre à l’encontre des principes pour lesquels j’ai failli mourir plusieurs fois à travers mes livres. J’ai été baisé dans le dos, un faux Glock sur la tempe, ce qui m’a obligé à repenser ma vie en une seconde et a tué mon cœur, sachant que j’avais bien œuvré à façonner tous ces livres. Mais après les livres vient une vie de récits, qui s’écrivent d’eux-mêmes selon les mots autrefois tracés ; ces mots deviennent la manifestation de la vie de leur auteur et parfois, on perd le contrôle.


Je vivais dans cet appartement avec deux pièces supplémentaires, louées à des colocataires flexibles de diverses nationalités. La majorité étaient de bonnes personnes ; quelques-uns, logiquement, ne l’étaient pas. En mettant mes mots et mon énergie en mouvement dans cette maison, j’ai attiré des gens sur la même fréquence que mon état d’esprit. À mon apogée, la maison vibrait de divinité ; à mon plus bas, dans mes derniers mois, j’étais bloqué face à des feuilles bleues ou blanches. Finalement, deux Scorpions une de France et l’autre du Venezuela ont débarqué, et à partir de là, ce récit a commencé.


Avec humilité, je n’écrirai jamais pour me proclamer messie sans fautes. La plupart des tragédies de nos vies sont des résultats karmiques de péchés passés, ou des projections de péchés infligés par d'autres. (Les Péchés d’Alger en témoigne dans sa morale théologique). Dans le calme et l’isolement, dans un esprit serein, d'autres, guidés par leurs démons, s’invitent sur la vie paisible d’autrui, projetant leur ombre sur la lumière de l’âme qu’ils perçoivent et, souvent, envient.


Ma relation avec ces deux colocataires était très agréable au début. Pourtant, encore jeune, mon père stoïcien m’avait dit : les meilleures personnes sont souvent celles qui paraissent rigides à la première rencontre. Un visage joyeux peut cacher une âme redoutable marchant sur la terre de Dieu sans conscience du mal qu’elle cause. Un visage mélancolique est toujours en admiration devant la nature destructrice de l’âme humaine. Bref, le chaos frappait à ma porte.


La jeune Française, dès son arrivée, me voyait comme un modèle. Diplômé, avec sept livres à mon actif, elle devint ma disciple, et je l’ai protégée et encadrée par devoir. Ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’elle serait influencée par mon ombre une façade que j’avais créée, maîtrisée et utilisée pour survivre à Athènes. Peu à peu, elle commença à se tatouer chaque semaine, partout sur le corps des esquisses qui me rappelaient Coraline, me tirant vers un univers à la Jack et la mécanique du cœur.


Elle avait clairement une attirance envers moi, mais mon cœur, à ce moment-là, appartenait à une autre. Un refus poli, perçu comme un rejet, blesse l’égo féminin et le pousse à rechercher approbation ou domination. J’étais occupé à d’autres choses qu’à chercher une romance. Ayant maîtrisé le Quantum Jumping, je pouvais voir les scénarios des romances possibles et les dégâts à venir — que je voulais éviter, heureusement. Malgré cela, notre amitié était belle, notamment parce que j’ai grandi plongé dans la culture française et que j’ai toujours eu de fortes connexions artistiques avec les Français.


Au fil des jours, une autre colocataire s’invita. J’étais étouffé par le fait de vivre avec deux filles qui projetaient leurs besoins émotionnels sur moi, tandis que je tentais simplement de préserver mon intimité et mon univers. Rentré d’un voyage raté à Lille, je l’ignorai plusieurs jours, jusqu’à ce qu’elle quitte la pièce, déçue de ne pas pouvoir devenir l’amie d’un écrivain. La chambre fut libérée et un Scorpion rusé s’y glissa.


Ma maison était devenue une masure pour âmes sauvages, brisées et curieuses et moi, je tentais de garder intact mon univers littéraire.


Ce type venait du Venezuela, avide de weed et de femmes une belle image d’une âme cassée dans la quarantaine. Je n’avais pas confiance. Je lis les gens dès qu’ils parlent. Mon psychologue m’avait mis en garde, et j’envisageais déjà de partir. Mais quelques jours ne suffisent pas pour fuir les dégâts que certains hommes du tiers-monde peuvent causer (étant moi-même issu de ce troupeau).


Je baissai la garde en réalisant qu’il venait aussi d’un ex-pays communiste sans OGM (comme l’Algérie). Son pays était ruiné ; le mien, lui, montait encore dans la hiérarchie mondiale. Poussé par la fatigue et mes collègues tunisiens, je déménageai lentement, sans bruit, chez un ami. Je ne devais à personne de justification lorsqu’il s’agissait de protéger ma paix intérieure.


J’avais cependant de l’empathie pour la Française. Je lui dis que je partais pour des raisons intérieures et secrètement supérieures. Son attachement, combiné à mon départ soudain, réveilla ses instincts de Scorpion et sa soif de vengeance. J’avais oublié que les Scorpions craignent l’abandon. Je lui assurai qu’on resterait amis et que je continuerais à la protéger.


Pris entre le départ et une invitation à un concert soufi, j’oubliai bêtement que mes actes malgré leur morale théologique pouvaient provoquer la vengeance. Et ce fut le chaos : une rafale de coups de couteau symboliques au visage, et la rage de l’écrivain menaçait d’émerger. Victorieux ? Il n’y a ni victoire, ni défaite juste la nature humaine.


Pendant mon absence, elle se rapprocha du Vénézuélien, qui ne voulait que son corps. Un homme guidé par son sexe devient une arme idéale pour la manipulation. Elle le retourna contre moi et s’en servit pour se venger. Deux jours avant mon départ, je l’invitai à un cocktail sous le soleil brûlant d’Exarcheia. Elle m’informa avoir parlé au Vénézuélien, qui voulait reprendre ma chambre.


Ce fut la goutte de trop. Je vis un casus belli valide. Je libérai ma colère et lui hurlai dessus en public une noble fureur, des cris qui firent plier Exarcheia devant le mystérieux Oriental silencieux. En tant que son Père céleste, je lui pardonnai ses péchés et ses manœuvres. Conscient de mon démon intérieur, je tentai de rester calme. En vain. De protagoniste, je devins l’antagoniste de sa réalité.


Je passai mes soirées à manger de la sauce piquante avec de la viande pour nourrir ma malice et affûter mon intellect carmin. Je prévoyais de sous-louer ma chambre à un gangster égyptien, un Bengali mystique ivre, ou pire un Algérien sans papiers. Mais la rage s’éteignit dans le reflet de ses yeux, et je décidai de tout laisser derrière. Le choix le plus sage.


Deux jours plus tard, le concert soufi me rechargea d’une énergie karmique tranquille. Je finis ma journée au travail avec un collègue tunisien qui voulait vendre son téléphone. À Metaxourgeio, on le vendit à bon prix. Puis je reçus un message du colocataire vénézuélien : il voulait ma chambre.


Ma fierté algérienne ne pouvait tolérer que mon héritage soit conclu par une trahison. Je déclinai poliment et retournai chez moi avec mon collègue pour discuter tranquillement.


En ouvrant la porte, je tombai sur le Vénézuélien, à moitié nu et ivre, prêt à en découdre. Il frappait les murs, menaçait de me tuer. Je tentai de le calmer, revenu non pour un combat mais pour une discussion. Peine perdue. Il était possédé par une âme lilithienne. Je fuis, aidé par mon collègue, traumatisé. J’appelai mes amis. Tous distants, mais enragés de l’être. L’un d’eux le plus féroce, le plus proche me dit : il n’y a qu’une solution : réveiller ton démon intérieur et te venger.


Je crus ne plus avoir de raison de retourner là-bas. Puis je me souvins : j’avais laissé le drapeau algérien.


Impensable de l’abandonner. Malgré ma faiblesse physique, j’armai mon courage. Je devais me battre, comme mes ancêtres.


Ce matin-là joyeux et d’une lucidité inhabituelle j’ai récupéré les deux chiens de mon ami comme si j’allais chercher du pain frais. J’ai nourri mon moi Taureau d’une bonne dose de viande rouge, non pas par faim, mais par tradition, et j’ai commencé à rassembler tranquillement mes forces. La peur, depuis longtemps, avait fait ses valises ; à sa place, une forme de bravoure suicidaire, sereine et presque cérémoniale, s’était installée. Ce n’était pas de la rage c’était de la logistique.


Deux chiens, deux Algeriens à peine intéressés, et moi, sommes retournés dans cette maudite chambre avec un marteau non pas comme une arme, mais comme un point final. L’homme vénézuélien, à moitié ivre et probablement convaincu d’être en plein rêve, est tombé avec une résistance minimale. Il ne m’avait jamais frappé, alors je veillai à ce que personne ne le frappe maintenant. Je respectais encore sa croix les symboles de Dieu ne sont pas responsables de l’absurdité humaine alors je lui ai simplement dit de rester au sol, comme on le dirait à un chat errant grimpé sur une table.


Nous avons pris le drapeau algérien avec une révérence silencieuse, comme s’il s’agissait d’une relique sacrée oubliée en territoire ennemi. Puis, sans un instant d’hésitation, nous avons recommencé à parler de football, du prix du Wi-Fi, et de savoir si la viande est meilleure grillée ou mijotée. Nos âmes algériennes s’étaient réveillées au cœur d’Athènes, non pas par la poésie ou la diplomatie, mais en faisant ce que les Algériens savent faire le mieux : transformer le chaos en comédie, et la violence en anecdote.


Deux jours plus tard, comme si le karma avait le goût de l’ironie ou un flair pour le burlesque, je me suis retrouvé au lit avec une fille vénézuélienne. La vie continue. Les bleus disparaissent, l’âme se répare à coup de couscous, et on fait semblant de ne jamais avoir eu peur. Ce qui s’est passé dans cet appartement chiens, marteaux, un illuminé à moitié nu, et un drapeau algérien n’était, au fond, rien d’extraordinaire. C’était juste un mardi de plus dans la tradition algérienne de la surréaction poétique.


Je ne me suis pas vanté. Je ne me suis pas senti héroïque. J’étais juste un homme qui avait récupéré ses affaires y compris sa dignité nationale et qui avait géré la situation avec la même grâce que celle utilisée pour marchander des tomates dans un souk. Le fait que cela ait nécessité des gangsters, deux molosses et une mise en scène théâtrale n’était qu’une partie de la chorégraphie. En Algérie, une bagarre n’est souvent qu’une conversation mal chronométrée.


Et ainsi, après tout cela, je suis sorti de Solomou 33 ni victime, ni vainqueur, mais comme un écrivain algérien qui avait récupéré son drapeau, défendu sa paix, et plus absurde que tout s’était retrouvé à faire l’amour avec une femme du même pays que celui qui avait tenté de le tuer.


Comme je le dis toujours : Exárcheia écrit l’histoire, mais l’Algérie signe la fin.

 
 
 

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